Exposition Marseille-Alger, une leçon de fraternité.
A l’occasion de l’exposition présentée à Istres à la Maison des syndicats du 5 au 7 novembre, nous avons rencontré son créateur Jacques Roger, qui a animé le débat aux côtés de l’historien Jacques Manceron, spécialiste de l’étude de la colonisation .

Interviews.

-Jacques Roger, qui êtes-vous ?

-J.R. Je suis journaliste, j’ai été pendant 30 ans le rédacteur en chef de La Marseillaise, et depuis 1997, je suis secrétaire de l’association Mémoires vivantes qui est à l’initiative de cette exposition.

-Justement, comment est née cette exposition ?

-J.R. L’association Mémoires vivantes, créée  il y a quinze ans et présidée aujourd’hui  par Pascal Posado premier maire des « quartiers Nord », travaille sur la mémoire contemporaine de Marseille et sa région. Le calendrier invitait à « célébrer » les relations entre la France et l’Algérie, entre Marseille et Alger, mais notre association ne s’inscrit pas dans cette commémoration, nous voulons prendre les choses dans la continuité historique des relations entre les deux cités, bien avant la période douloureuse de la colonisation. Nous avons donc rassemblé des documents qui retracent cette histoire commune, jusqu’à aujourd’hui.

-Quels points communs sont donc mis en valeur par l’exposition ?

-J.R. Pendant  longtemps, le port de Marseille a été la clé de l’Orient, la Porte du Levant, comme en rêve le Marius de Pagnol, cela en a fait un des premiers ports du monde et les liens se sont tissés naturellement avec Alger : les échanges commerciaux ont créé des amitiés entre marins, entre dockers des deux ports, des résistances parallèles : par exemple, au moment de la guerre d’Indochine, les deux ports ont refusé le transport d’armes et de soldats.

Pour prendre un autre exemple, les grandes familles commerçantes de la bourgeoisie d’affaires marseillaise obligeaient l’un des leurs à étudier la langue arabe pour faciliter les échanges.

L’histoire de Marseille et d’Alger, c’est donc d’abord une histoire d’amour et de fraternité.

-On ne peut pourtant pas occulter la période terrible de la colonisation puis de la guerre ?

-J.R. Bien sûr que non, c’est la raison pour laquelle cette période sombre est bien présente dans notre exposition : si on veut dépasser cette douleur, il faut en parler pour que le deuil se fasse, des deux côtés. Le drame, tant pour le peuple algérien que pour les soldats ou les « pieds noirs » a laissé des traces…

Quels liens particuliers se sont tissés au moment de l’indépendance ?   

-J.R.Le peuple algérien a toujours su résister, il a trouvé à ses côtés les « pieds rouges », qui ont participé à la création de la jeune république algérienne : ces « porteurs de valise » qui passaient argent et documents au FLN ;  des  syndicalistes , et la CGT en tant que telle, ont apporté leur soutien à ceux qui se battaient pour l’indépendance. Marseille était au centre de ces événements : le port voyait partir et revenir les soldats, mais aussi les « rapatriés » au camp de Ste Marthe.

-Quelles sont alors aujourd’hui les raisons d’espérer ?

-J.R. Quoi qu’en disent certains, les Algériens n’ont pas de rancune envers les Français, la langue française est toujours parlée dans les rues d’Alger ou à la télévision. Le peuple algérien et en particulier les femmes  ont lutté et continuent à lutter contre toutes les formes d’oppression.

Aujourd’hui, si la Méditerranée est une zone de turbulences politiques, Marseille et Alger, peuvent et doivent jouer un rôle dans la construction de nouveaux équilibres fraternels, c’est le sens de cette exposition.

Jacques Manceron, vous êtes historien spécialiste de l’histoire de la colonisation et en particulier de l’Algérie , vous êtes aussi membre de la Ligue des Droits de l’Homme: quel regard portez-vous sur cette exposition ?

-J.M. Elle est riche par son contenu et très pertinente dans son approche : le parallélisme  des deux villes saute aux yeux !

D’après vous, que faut-il en retenir ?

-J.R.La guerre d’Algérie appartient à notre histoire, mais aussi à notre présent, ce que dit très bien le nom de l’association Mémoires Vivantes.  Elle a été l’objet de nombreux conflits de mémoire, en particulier en région PACA : par exemple, la mairie de Nice a refusé l’organisation d’un colloque, la sortie du film Indigènes à Cannes a été l’occasion d’une manifestation hostile.

-Qu’est-ce qui explique encore cette hostilité et cette difficulté à affronter la réalité de cette période ?

-J.M.  Des groupes  communautaires mélangent encore nostalgie personnelle et refus de prendre en compte l’histoire de façon lucide ; la colonisation est une épine dans le pied de la France républicaine : des républicains convaincus, qui se sont illustrés dans d’autres domaines ont soutenu la colonisation, c’est le cas de Jules Ferry par exemple. Il n’est donc pas facile d’entrer dans la complexité de ces événements.

-Faut-il  jeter un voile sur ces questions ou en débattre ?

-J.M. On n’avancera pas tant que les choses n’auront pas été analysées avec tout le recul de l’historien, sinon, on reste dans le manichéisme porteur de conflits. Avant de tourner la page, il faut finir de l’écrire.

 L’exposition a accueilli une centaine de visiteurs, dont Monsieur le Vice-consul d’Algérie à Marseille, preuve que  ce message fraternel est  bien porté par les deux « sœurs jumelles de la Méditerranée ».