Alors que le gouvernement vient de lancer sa consultation sur la réforme des retraites, quatre économistes, dont Jean-Marie Harribey, analysent la situation.
Tribune. Le gouvernement s’apprête à réformer les retraites. Les réformes précédentes n’ont-elles pas atteint leur objectif ? Le cumul des mesures (allongement continu de la durée de cotisation, report à 62 ans de l’âge de départ, calcul des pensions sur la base des 25 meilleures années de salaire, indexation sur les prix et non plus sur les salaires…) a limité le déficit global des caisses de retraites au prix d’une baisse inexorable, à l’avenir, du niveau des pensions.
Le haut-commissaire chargé par le gouvernement de préparer la réforme, Jean-Paul Delevoye, vient d’adresser aux syndicats un document de travail qui montre qu’en croisant les deux critères que sont le niveau relatif des pensions par rapport aux salaires des actifs et la part de solidarité du système, la France est à la meilleure place de tous les pays de l’OCDE. Alors pourquoi cette réforme ?
La réponse est contenue dans les rapports du conseil d’orientation des retraites (COR) de 2017. Le système de retraite représente 14 % du produit intérieur brut annuel. Ce qui est jugé trop élevé. Il faut diminuer cette part au nom de la baisse des dépenses publiques et sociales. Comme les réformes paramétriques précédentes ne sont pas parvenues à réduire cette part, le stratagème consiste à ouvrir une réforme « structurelle ». C’est là que le cynisme confine avec l’absurdité.
Il s’agit de mettre à bas le système actuel de retraite
Puisque les pensions sont désindexées de l’évolution des salaires, plus la croissance économique est forte (et donc, normalement, plus les salaires augmentent), plus les pensions seront déconnectées et représenteront une part plus faible dans le produit intérieur brut (PIB). Ainsi, d’après le COR, si la croissance économique est en moyenne de 1,8 % par an pendant le prochain demi-siècle, la part des pensions baissera de 14 % à 11,7 %. Mais si la croissance n’est que de 1 % en moyenne, la part des pensions dans le PIB montera jusqu’à 14,5 %. Or, les prévisions parlent d’une croissance très modérée. Donc, il s’agit de mettre à bas le système actuel de retraite.
Comment ? En le remplaçant soit par un système par points, soit par un système dit par comptes notionnels. Leur élément commun est d’en finir avec la durée de cotisation et son montant connu à l’avance, l’âge de la retraite et un taux de remplacement (pension par rapport au salaire) garanti. Rappelons que, jusqu’à la réforme de 1993, les cotisations étaient définies à l’avance, avec au final un taux de remplacement d’environ 75 % pour les carrières complètes, régimes spéciaux inclus. Le président Macron a promis qu’un euro de cotisation donnerait le même droit à tous, et qu’ainsi il n’y aurait plus d’inégalités ni de déficits. C’est doublement faux.
Un système par comptes notionnels, comme en Suède, fera intervenir l’espérance de vie dans le calcul de la pension : plus vous partirez tôt en retraite, plus celle-ci sera faible. Or, les personnes qui ont des faibles salaires, les travaux les plus pénibles ou les emplois les plus précaires seront incitées à travailler le plus longtemps possible, au risque de mourir prématurément. En rattachant strictement la pension avec la cotisation, on renforce la contributivité et on restreint, voire on élimine, la part de solidarité.
Comme les femmes en sont les principales bénéficiaires, on entrevoit déjà le risque de double peine pour elles qui sont moins payées et subissent les temps partiels. Les retours de l’expérience suédoise sont d’ailleurs éloquents : le système se révèle inégalitaire, pénalise les femmes et les travailleurs aux carrières heurtées et comme le note l’ex-premier ministre, « il donne des pensions trop basses »…
La seconde erreur – ou mensonge – est de laisser croire qu’un système par points ou par comptes notionnels échappe aux contraintes démographiques et économiques. Mais c’est absolument faux : aucun miracle n’est à attendre d’un système face à un vieillissement de la population ou à une récession économique. Car tout système de retraite (même par capitalisation) ne peut que répartir la richesse produite par la population active. Il s’ensuit que toute société a le devoir de veiller à chaque instant à la meilleure répartition des revenus entre les divers besoins sociaux.
Trois pistes progressistes
On comprend la volonté cachée du gouvernement : baisser la part des pensions, éviter un débat sur la répartition du fruit du travail, retirer du système de retraites les dispositifs de solidarité et faire la place à la capitalisation. Déjà ressortent les propositions pour des fonds de pension ou l’épargne-retraite.
Le débat qui s’annonce sera rude, tellement le président veut faire de la France une « start-up nation ». Pourtant, à l’opposé de son projet de retraites, des possibilités d’amélioration progressiste existent. Trois pistes pourraient être ouvertes. D’abord, unifier par le haut les différents régimes en fixant un taux de remplacement minimum, allant en décroissant depuis le smic jusqu’à « x fois » le plafond de la Sécurité sociale. Ensuite, augmenter progressivement le taux de cotisation vieillesse pour suivre l’évolution démographique ; et mieux, élargir l’assiette des cotisations pour y inclure la fraction des profits qui n’est pas investie mais distribuée.
Enfin, pour avoir un bon système de retraite et, au-delà, une bonne protection sociale, l’emploi doit redevenir une priorité absolue, et cela d’autant plus qu’on ne peut plus miser sur la croissance économique, compte tenu de l’impératif écologique. On touche là l’imbrication des problèmes : une politique répondant aux besoins sociaux d’avenir est incompatible avec une politique en faveur de la finance.
Jean-Marie Harribey et Christiane Marty sont les coauteurs de « Retraites, l’alternative cachée » (Syllepse, 2013).