Les services publics portent l’intérêt général

Entretien Pierre-Marie Ganozzi, secrétaire général de la FSU des Bouches-du-Rhône (publié dans La Marseillaise)

Alors que le gouvernement Macron est entré dans une phase importante de son offensive libérale, une intersyndicale CGT, Solidaires, FSU… appelle aujourd’hui à la mobilisation et à la grève.
Après le succès de la mobilisation du 14 avril, quelles sont les raisons qui poussent la FSU à s’associer à une nouvelle journée d’action ?
Plusieurs secteurs appellent à la grève aujourd’hui, notamment dans l’éducation : du premier et second degré, jusqu’au supérieur. La FSU 13 a décidé de relayer cet appel le plus massivement possible, dans le cadre de la lutte pour la défense des services publics qui a démarré sur des thématiques de salaire et s’est développée sur celles de la défense du statut des fonctionnaires et de l’intérêt général. On est dans cette continuité-là avec en point d’orgue le 22 mai, qui sera une nouvelle date de mobilisation avec 9 fédérations de la fonction publique. Réformes du lycée et du baccalauréat pour le second degré, sélection à l’université pour le supérieur et dans le premier degré, capacité à accueillir tous les élèves, avec comme cas particulier à Marseille le partenariat public privé (PPP) des écoles. Les raisons d’une grogne importante existent.
Quels sont les indicateurs de l’état de cette mobilisation ?
Pour l’instant nous n’avons pas encore de taux de participation à la grève, mais les différents mouvements ont tous été suivis entre 25 et 50 %. On a bon espoir que ce soit dans ce même étiage. Il y a une attaque sans précédent sur le service public, sur le statut. On nous explique que l’on va multiplier le nombre de contractuels dans les services. Un agent de la fonction publique sur cinq est aujourd’hui un précaire. Nous demandons un plan de titularisation pour ces salariés, mais le gouvernement fait l’exact contraire. Ce n’est pas acceptable. Le gouvernement nous dit aussi qu’un certain nombre de missions ne sera plus l’apanage du service public. On peut, par exemple, penser que dans la fonction publique territoriale, des missions seront purement supprimées, comme l’entretien des collèges et des lycées, la gestion
des cantines. On pourrait imaginer que demain ce soit Sodexo qui récupère la totalité des cantines et du hors temps scolaire. Nous avons vraiment une vision inverse de ce qu’il faudrait faire pour la fonction publique. Il en va de l’intérêt de tous d’avoir des écoles, des collèges, des lycées, des services qui fonctionnent bien dans l’intérêt général, alors que ce qui nous est proposé, c’est absolument l’inverse.
C’est une précarisation accentuée, des services privatisés, des statuts fragilisés. Cette politique qui sera mise en œuvre dans les prochains mois, nous inquiète vraiment. Sous prétexte d’une concertation qui n’en est pas vraiment une, le gouvernement annonce dans son programme Action Publique 2022, toutes une série de déréglementations qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt général, mais dans le sens d’intérêts particuliers. C’est-à-dire de quelques grosses entreprises qui pourraient récupérer le gâteau de la cantine, de l’entretien ou pourquoi pas de certaines parties de l’éducation.
Les raisons qui conduisent le gouvernement à démanteler les services publics sont-elles purement d’ordre budgétaire ?
Je crois surtout que ce sont des raisons d’ordre idéologique. Je ne suis pas convaincu que le privé coûterait moins cher que le public. Il n’y a qu’a regarder, chez nous, les délégations de service public. Par exemple avec la desserte pour les îles du Frioul, on se rend compte qu’il y a eu une dizaine d’avenants et qu’au final le prix d’une traversée demeure exorbitant. J’aimerai que l’on démontre en quoi le privé est plus performant que le public. Actuellement, les Anglais sont en train de faire marche arrière. Une immense majorité d’entre eux voudrait que le service ferroviaire revienne dans le giron du public.
Cette idéologie libérale veut faire croire que le privé est la panacée et que le public ne serait pas capable de bien gérer. Pour nous, l’intérêt général est synonyme de fonction publique. On a l’impression que Macron épouse les théories de Blair et de Schrôder, dont on connaît déjà les effets. On a une augmentation considérable de la précarité en Allemagne et puis en Angleterre, des petits boulots à zéro euro. Est-ce que c’est ça que l’on veut demain ? Cela vaudrait le coup d’avoir un vrai débat de société sur la place des services publics et sur la place de la précarité dans le pays.
Quels arguments et contre-propositions avancez-vous pour défendre les services publics ?
Le vrai argument c’est de dire qu’il n’y a que les services publics qui ont l’intérêt général en ligne de mire, puisqu’à l’inverse, c’est normal, les entreprises privées sont là pour faire du profit. On ne va pas demander aux entreprises privées d’avoir le cœur sur la main. Chacun son métier, les services publics, comme leur nom l’indique, sont au service de tous les publics. Ce sont des lignes SNCF qui ne sont pas rentables, mais qui vont continuer d’exister, parce que c’est une question d’aménagement du territoire ; des écoles dans des territoires peu peuplés. Car sans ces équipements-là, des populations seraient totalement isolées. Nous ne sommes pas opposés à une évolution de nos missions. En revanche là, on assiste à une destruction et c’est absolument inacceptable. C’est la raison pour laquelle nous voulons démontrer que ce qui est nécessaire, c’est d’avoir une logique qui soit à la fois une logique d’aménagement du territoire et d’utilité pour le plus grand nombre. Ce n’est pas ce que je lis dans les annonces du ministre Dussopt sur la fonction publique.
D’autres mobilisations sont à venir, pourquoi un calendrier social aussi chargé ?
Le calendrier est chargé, parce qu’on n’est pas dans un ciel bleu, où il ne se passe rien. On essaye de faire émerger un maximum de luttes. Nous sommes dans la phase d’émergence de ces luttes, avec, en chef de file, les cheminots, mais pas uniquement. C’est aujourd’hui, qu’il faut qu’un maximum de monde prenne conscience que l’avenir des services publics est en jeu. Il faut essayer de conscientiser au maximum les gens, parce que là période sociale s’y prête. Il nous a semblé opportun d’accélérer ce processus pour permettre à tous de rentrer dans le conflit. Il s’agit de tirer la sonnette d’alarme, de dire aux Français, attention regardez ce que veut faire le gouvernement de nos services publics. Héritage de la Résistance, ils ont été forts pendant de nombreuses années. Une spécificité du fameux modèle social français. Si nous sommes aujourd’hui en grève c’est pour vous, pour votre intérêt, parce que s’il ne se passe rien, dans 5 ou 10 ans, le service public tel qu’on le connaît aujourd’hui n’existera plus.
Réalisé par Catherine Walgenwitz